La montagne, aussi majestueuse soit-elle, peut se transformer en un théâtre tragique pour ceux qui osent défier ses sommets. L’histoire de l’alpinisme français est jalonnée de récits héroïques mais aussi de disparitions bouleversantes qui rappellent la fragilité humaine face aux géants de pierre et de glace. De Johnny Saliba, dernière victime en date sur le Makalu, aux légendaires Louis Lachenal et Lionel Terray, nombreux sont les alpinistes français qui ont payé de leur vie leur passion pour les hauteurs. Notre article retrace ces destins brisés, analyse les causes de ces accidents tragiques et explique comment les techniques modernes tentent de réduire ces risques mortels.
Johnny Saliba : dernier alpiniste français mort en montagne (2024)

Le 12 mai 2024, l’alpinisme français a perdu l’un des siens sur les pentes hostiles du Makalu, cinquième plus haut sommet du monde. Johnny Saliba, Grenoblois de 60 ans, a succombé à 8120 mètres d’altitude, terrassé par le mal des montagnes alors qu’il s’approchait du sommet culminant à 8485 mètres.
Les circonstances du drame
L’expédition de Johnny Saliba sur le Makalu représentait l’aboutissement de plus de deux ans de préparation minutieuse. Accompagné d’un guide sherpa expérimenté, il progressait dans la « zone de la mort », au-dessus de 8000 mètres, lorsque les premiers symptômes du mal aigu des montagnes se sont manifestés. Face à la dégradation rapide de son état, son guide a immédiatement initié une descente d’urgence, mais l’organisme de l’alpiniste n’a pas résisté aux conditions extrêmes.
Selon les témoignages recueillis auprès de l’équipe d’expédition, Johnny présentait des signes d’œdème cérébral de haute altitude, une complication gravissime du mal des montagnes qui peut s’avérer fatale en quelques heures sans intervention médicale appropriée. À cette altitude, les options thérapeutiques restent extrêmement limitées.
Portrait d’un passionné de haute montagne
Johnny Saliba n’était pas un novice en matière d’alpinisme. Cet ingénieur à la retraite avait consacré une grande partie de sa vie à parcourir les sommets. Originaire de Grenoble, berceau de nombreux alpinistes français, il avait gravi plusieurs sommets de plus de 7000 mètres au cours de la dernière décennie.
« Johnny était méthodique, prudent et incroyablement déterminé », témoigne Pierre Montaz, ami de longue date et compagnon de cordée. « Le Makalu était son rêve. Il s’y préparait physiquement et mentalement depuis des années, multipliant les ascensions techniques dans les Alpes pour s’acclimater progressivement à l’altitude. »
L’opération de récupération
La récupération du corps de Johnny Saliba a nécessité une opération délicate, coordonnée par les autorités népalaises et l’ambassade de France. Trois jours après le drame, une équipe de sherpas spécialisés dans les interventions en haute altitude a pu rapatrier sa dépouille jusqu’au camp de base, d’où un hélicoptère l’a transportée à Katmandou.
Sa famille, dévastée par cette nouvelle, a néanmoins exprimé une certaine sérénité. « Johnny est parti en faisant ce qu’il aimait », a confié sa sœur Marie lors d’une brève déclaration. « Nous savions tous les risques qu’impliquait sa passion, mais jamais nous n’aurions pu l’empêcher de réaliser ses rêves d’altitude. »
Les grands alpinistes français morts en expédition

L’histoire de l’alpinisme français est marquée par la disparition de figures emblématiques qui ont contribué à forger la réputation de l’école française de montagne. Ces pionniers ont repoussé les limites du possible, parfois au prix de leur vie.
Louis Lachenal (1921-1955)
Premier conquérant d’un 8000 aux côtés de Maurice Herzog (Annapurna, 1950), Louis Lachenal incarne le paradoxe de l’alpinisme : survivant à l’expédition la plus périlleuse de sa carrière malgré de graves gelures aux pieds, il trouve la mort cinq ans plus tard dans les Alpes, lors d’une simple sortie à ski. Le 25 novembre 1955, il chute dans une crevasse dissimulée de la Vallée Blanche, à Chamonix. Ironie tragique pour celui qui avait survécu aux conditions extrêmes de l’Himalaya.
Son héritage réside dans sa philosophie de l’alpinisme pur, sans artifice, et dans son approche novatrice des techniques de progression en haute montagne. Louis Lachenal a révolutionné l’utilisation des pitons et des techniques d’assurage, influençant des générations entières d’alpinistes français.
Lionel Terray (1921-1965)
Surnommé « le conquérant de l’inutile », Lionel Terray s’est illustré par des premières ascensions majeures comme le Makalu en 1955 et le Chacraraju au Pérou en 1956. Sa disparition survient le 19 septembre 1965 dans le massif du Vercors, lors de l’ascension de la face est du mont Gerbier. Une chute de pierre provoque son décrochage et celui de son compagnon de cordée, Marc Martinetti.
L’influence de Terray sur l’alpinisme français est considérable : pionnier des expéditions légères en Himalaya, il a défendu une approche éthique de la montagne, refusant de la « conquérir » mais cherchant plutôt à s’y élever avec respect. Son livre « Les Conquérants de l’inutile » reste une référence incontournable pour comprendre l’esprit de l’alpinisme français d’après-guerre.
Patrick Berhault (1957-2004)
Figure emblématique de l’alpinisme des années 1980-1990, Patrick Berhault incarnait la polyvalence à l’état pur : escalade libre, grandes voies, cascade de glace, solo intégral… Il disparaît le 28 avril 2004 au Täschhorn (4491 m) dans les Alpes suisses, alors qu’il tentait l’enchaînement des 82 sommets de plus de 4000 mètres des Alpes avec Philippe Magnin. Une corniche cède sous ses pas, entraînant une chute fatale.
L’héritage de Berhault réside dans sa vision globale de la montagne, abolissant les frontières entre les différentes disciplines. Son approche artistique et son style fluide ont révolutionné la pratique de l’escalade en France et inspiré toute une génération d’alpinistes-grimpeurs.
Jean-Christophe Lafaille (1965-2006)
Considéré comme l’un des plus grands himalayistes de sa génération, Jean-Christophe Lafaille disparaît en janvier 2006 lors de sa tentative d’ascension hivernale en solitaire du Makalu. Les circonstances exactes de sa disparition demeurent inconnues, son corps n’ayant jamais été retrouvé. Sa dernière communication radio remonte au 26 janvier 2006, alors qu’il s’apprêtait à tenter le sommet depuis son camp à 7600 mètres.
Lafaille laisse derrière lui un héritage technique impressionnant : pionnier des ascensions alpines en style alpin dans l’Himalaya, il avait à son actif 11 sommets de plus de 8000 mètres, dont certains par des voies nouvelles ou en solitaire. Sa disparition a soulevé d’importantes questions sur les limites du solitaire en haute montagne.
Causes fréquentes de décès des alpinistes français
L’analyse des accidents mortels impliquant des alpinistes français révèle plusieurs causes récurrentes, liées tant aux conditions extrêmes qu’aux limites physiologiques humaines.
Le mal aigu des montagnes et ses complications
Le mal aigu des montagnes (MAM) et ses formes graves – œdème pulmonaire et œdème cérébral de haute altitude – représentent l’une des principales causes de décès au-dessus de 4000 mètres. L’organisme, confronté à la baisse de pression partielle d’oxygène, développe des mécanismes compensatoires qui peuvent s’avérer insuffisants ou défaillants.
Eric Escoffier, alpiniste français de renom, a probablement succombé à un œdème cérébral lors de sa tentative sur le Broad Peak en 1998. Johnny Saliba, plus récemment, a été victime des mêmes complications physiologiques sur le Makalu. Ces drames illustrent la vulnérabilité du corps humain face aux conditions extrêmes, même chez des athlètes aguerris.
Les chutes et ruptures techniques
Les accidents liés à des chutes représentent la première cause de mortalité dans les Alpes et une cause majeure en Himalaya. Ces chutes peuvent résulter de plusieurs facteurs:
- Rupture d’un ancrage ou d’une corniche (Patrick Berhault au Täschhorn)
- Erreur technique ou défaillance matérielle
- Épuisement compromettant la vigilance
- Chute de pierres (Lionel Terray dans le Vercors)
Pierre Beghin, disparu en 1992 sur la face sud de l’Annapurna suite à la rupture d’un piton, illustre parfaitement ces risques techniques inhérents à la progression en haute montagne.
Les avalanches
Les avalanches constituent un danger permanent en montagne, particulièrement redoutable car souvent imprévisible malgré les progrès de la nivologie. Plusieurs grands alpinistes français ont perdu la vie emportés par des masses de neige instables.
Alain Estève et René Desmaison, deux figures majeures de l’alpinisme français, ont été victimes d’avalanches dans les Alpes. En 2019, deux guides français expérimentés font partie des victimes d’une avalanche exceptionnelle sur le Nanda Devi East (Inde), démontrant que même les professionnels les mieux formés peuvent être surpris par ce phénomène.
L’hypothermie et l’épuisement
La combinaison d’épuisement et d’hypothermie constitue un mécanisme redoutable qui peut transformer une situation contrôlée en drame. La fatigue altère le jugement, ralentit les mouvements et diminue la production de chaleur corporelle, tandis que l’hypothermie aggrave la confusion mentale.
Ce cercle vicieux explique de nombreux décès, notamment lors des descentes, phase souvent sous-estimée mais particulièrement dangereuse. L’accident mortel de Chantal Mauduit sur le Dhaulagiri en 1998 illustre ce mécanisme: épuisée après plusieurs jours en altitude, elle n’a pu résister aux conditions météorologiques qui se sont dégradées pendant sa descente.
Comment les alpinistes français se préparent face aux risques mortels
Face aux dangers inhérents à la haute montagne, les alpinistes français ont développé des stratégies sophistiquées pour minimiser les risques tout en poursuivant leurs objectifs ambitieux.
L’entraînement physique et physiologique
La préparation d’une expédition en haute altitude commence des mois, voire des années à l’avance. Les alpinistes français modernes suivent des protocoles d’entraînement rigoureux combinant:
- Endurance cardiovasculaire (course à pied, ski de fond)
- Renforcement musculaire spécifique
- Séances d’hypoxie intermittente pour pré-acclimater l’organisme
- Entraînement en altitude moyenne (2000-3000m)
Elisabeth Revol, survivante d’un drame sur le Nanga Parbat en 2018, est connue pour son approche scientifique de la préparation physiologique. Elle travaille étroitement avec des chercheurs spécialisés dans l’adaptation à l’altitude pour optimiser ses performances et sa sécurité en haute montagne.
Les protocoles d’acclimatation
L’acclimatation à l’altitude suit désormais des principes scientifiquement validés que les alpinistes français appliquent rigoureusement:
La stratégie classique consiste à monter progressivement, en établissant des camps intermédiaires et en effectuant des rotations entre ces camps. La règle « monter haut, dormir bas » structure ces périodes d’acclimatation qui peuvent durer plusieurs semaines avant une tentative de sommet.
Des approches alternatives comme l’acclimatation « en dents de scie » ou l’utilisation préalable de chambres hypoxiques gagnent en popularité. Catherine Destivelle, figure emblématique de l’alpinisme français, a toujours insisté sur l’importance cruciale d’une acclimatation progressive, privilégiant la sécurité au détriment du calendrier.
L’évolution des équipements de sécurité
La technologie a considérablement amélioré la sécurité en montagne au cours des dernières décennies. Les alpinistes français s’appuient désormais sur:
Équipement | Fonction | Évolution récente |
---|---|---|
GPS satellites | Positionnement précis | Balises miniaturisées, autonomie accrue |
Téléphones satellitaires | Communication d’urgence | Accès aux bulletins météo détaillés |
Vêtements techniques | Protection thermique | Matériaux ultralégers et performants |
Dispositifs médicaux | Surveillance physiologique | Oxymètres, chambres hyperbariques portables |
Mathieu Maynadier, alpiniste de la nouvelle génération, utilise systématiquement une station météo portable connectée et partage en temps réel ses données physiologiques avec une équipe médicale à distance lors de ses expéditions himalayennes.
L’évolution des approches de sécurité
La culture de la sécurité en alpinisme a profondément évolué en France, passant d’une vision héroïque où le risque était valorisé à une approche plus pragmatique centrée sur la gestion des dangers.
Cette évolution se traduit par:
- Une meilleure formalisation des prises de décision, avec des protocoles stricts de « go/no-go »
- L’acceptation plus facile du renoncement, désormais perçu comme une décision sage et non un échec
- La planification systématique des scénarios d’urgence
- Le partage d’expérience et l’analyse collective des accidents
La Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM) joue un rôle crucial dans la diffusion de cette culture à travers des formations spécifiques. Marc Batard, surnommé « le sprinter de l’Everest », est devenu un fervent défenseur de cette approche responsable après avoir lui-même frôlé la mort à plusieurs reprises.
Malgré toutes ces précautions et avancées technologiques, la montagne reste un environnement intrinsèquement dangereux où le risque zéro n’existe pas. Les alpinistes français continuent de payer parfois le prix ultime de leur passion, rappelant que le dialogue entre l’homme et les sommets demeure, par essence, un équilibre fragile entre audace et humilité.